Récit d'Agathe 

Je suis arrivée le 4 janvier 1994 à l'Abbaye Blanche de Mortain, après avoir passé sept mois avec deux femmes qui ont pratiqué sur moi le psycho-spirituel, une pseudo-thérapie qui leur avait été enseignée par la communauté des Béatitudes. Selon elles, Dieu était formel, je devais aller guérir aux Béatitudes.

Dès mon arrivée, je sentis comme un malaise diffus et confus. Tous me liens avec mon entourage proche avaient été coupés lors de mon accompagnement au psycho-spirituel.

J'ai donc débarqué sans aucun repère, sans aucune attache. Bien sûr, la communauté était de mèche avec les deux femmes pour me protéger de ma famille et de mes proches, tous diabolisés.

Très vite le rythme prière-travail-prière-travail et cette vie sous le regard unique de Dieu m'ont vite oppressée. Je précise que j'étais une personne en grande difficulté psychologique et affective, fragilisée par la vie. Ils ont utilisé mes failles pour me faire croire que SEUL Dieu pourrait me sauver. Pour cela je ne devais attendre rien de personne, sinon vivre dans la foi, l'espérance et la charité.

Coupée de toute affection humaine, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la communauté et dans mon état, j'ai très vite craqué.

Après plusieurs fugues ils me reprenaient toujours car une des deux femmes avait une forte influence et ils s'appelaient systématiquement pour que je revienne. Alors la communauté m'a toujours gardée.

Même si avec le temps je suis rentrée dans le moule de vie proposée, j'ai dû me couper de mes sentiments, mes émotions, pour pouvoir avancer à la force du poignet.

Dans ce bain d'obéissance et de soumission, je perdis mon identité et me fondis à l'image que l'on attendait de moi : une sainte. Plus de sept ans à m'oublier, à me perdre en Dieu et ne plus savoir qui j'étais.

Les compulsions d'alcool et mon mal-être revinrent en force. J'étais encore plus abîmée qu'à l'arrivée, j'étais venue dans cette communauté pour soi-disant guérir de mon mal de vivre. Finalement, en plus de tout ce qui n'a pas été guéri, je ne me reconnaissais plus. 

la foi et la croyance en Dieu ont été instrumentalisés pour ma dépersonnalisation. Je n'avais

plus de libre arbitre et il fallait que je ressemble à tous ces saints dont ils me parlaient. C'est un glissement dans le temps qui se fait jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. C'est un glissement imperceptible, je ne m'en rendais pas compte. Voilà comment j'ai été détruite, de manière bien sournoise, à la communauté.

Entre le jour où je suis arrivée à l'Abbaye Blanche et le jour j'ai pris conscience de ce que j'avais vécu, vingt ans se sont écoulés, sans compter la reconstruction derrière. 

Récit de Christophe

Toute proportion gardée, mon statut de victime n'a évidemment rien à voir avec tout ce qu'a
pu endurer mon épouse. Cependant, comme je vais le développer, ce n'est pas sans répercussions
graves sur la vie de couple, voire les projets de famille…
Au début, je ne savais pas ce qu 'étaient les Béatitudes. J'ai suivi un catéchisme traditionnel
avec de braves curés, notamment le regretté Père Jacques HAMEL qui me donna la première
communion.
Quand Agathe est entrée à la communauté, nous étions juste amis. J’effectuais mon service
militaire et nous nous écrivions régulièrement. J’étais totalement ignorant de l’existence du
renouveau charismatique et trouvai d'abord cela bien pour elle.
Cependant, ses courriers furent de plus en plus « barrés », jusqu'à ce qu'elle ne m'écrive plus,
J'ai alors appelé chez ses parents. Son père me dit : « Écoutez Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes,
écrivez chez nous et nous transmettrons ». Ni lui ni moi ne nous doutions qu'il s'adressait alors à son futur gendre. Toujours est-il que j'avais bien ressenti à ce moment avoir au bout du fil un père en souffrance.
J'eus alors la crainte qu'Agathe ne fut tombée dans une secte. Elle m'affirma que non lorsque
nous nous revîmes quelques années plus tard. Nous nous sommes en effet croisés par hasard en
2004 et avons entamé une idylle de quelques semaines. J'étais très amoureux mais Agathe n'était pas en mesure de recevoir tout ce que j'avais à lui donner. Elle sentait que sa vie auprès de Dieu n'était pas aboutie et est repartie en communauté. Gros chagrin pour moi.
Nous nous sommes revus en 2006. Agathe n'était plus aux Béatitudes physiquement mais
son esprit en était encore imprégné. Nous nous sommes néanmoins remis ensemble pour ne plus
jamais nous quitter. Nous nous sommes mariés en 2008. J'annonce d'ores et déjà qu'être le mari
d'une ex-pensionnaire des Béatitudes peut devenir un vrai chemin de croix.
Les premières années, Agathe était encore croyante. Elle avait encore des amies à la
communauté, qu'elle m'a présentées. Nous avons d'ailleurs rendu quelques visites. Mais
intérieurement, son retour à la vie profane fut une épreuve. Sans plus de repères, elle était perdue et s'est vite réfugiée dans les médicaments et l'alcool. Elle était là sans être là et je devins le spectateur impuissant de son mal-être. Agathe dut être hospitalisée à plusieurs reprises. Livré à moi-même, inquiet pour la femme que j'aime, entre les visites, le travail contraignant, l'entretien du logement et la solitude, je finis par perdre pied et dus recourir à une psychologue pour m'aider à accompagner Agathe. 
Je ne remercie pas les Béatitudes d'avoir laissé Agathe plus mal à sa sortie qu'à son arrivée.
Elle était partie dans cette communauté avec la promesse que Jésus soignerait ses crises
existentielles qu'elle traînait depuis l'enfance. En guise de guérison, ce fut le mal de vivre et la perte
de sens. 
Je ne remercie pas les Béatitudes pour cette grossesse qui s'est soldée par une fausse couche
à cause des doses de médicaments, pour la fatigue permanente d'Agathe et son incapacité définitive à pouvoir élever un enfant.
Lorsqu'en 2014 elle comprit, grâce à des témoignages sur internet, la réalité de l'emprise
sectaire dont elle avait été victime aux Béatitudes, Agathe fit exploser la colère que finalement elle
s'interdisait de sortir pendant des années, cette rage bien fermentée qui jaillit avec une violence qui
la surprend encore aujourd'hui lorsqu'elle y repense. J'étais à côté d'elle mais ce n'est pas à moi
qu'elle se confiait, mais pour un certain temps encore à son ancienne guide spirituelle. Je ne faisais
que recueillir les éclats, les répercutions de ses colères.
Cela dit j'ai aidé Agathe à rompre avec ses relations de la communauté qui pour beaucoup se
révélaient toxiques, notamment une qui continuait à la tirer vers le bas. Je suis intervenu auprès de
cette personne, quitte à passer pour le mauvais élément. Cette amie avait un frère qui était prêtre
aux Béatitudes. Agathe me le présenta un soir, alors que nous cherchions quelqu'un pour nous
marier. Lorsque je fis part à celui-ci de mes doutes en matière de religion et de mes questionnements sur d'autres manières de chercher un sens à sa vie, à trouver la spiritualité ou un chemin philosophique, il entra dans une colère noire. « Tout est dans le Christ ! Jésus intègre
tout ! » Ce mot, « intègre », continue de me faire froid dans le dos. C'est moi-même qui dus le
calmer en demandant s'il n'était pas temps de faire une prière. Ce que nous fîmes, c'est dire le
mécréant que j'étais… Aujourd'hui Agathe est athée, moi agnostique. J'aime toujours l'ambiance hors du temps et l'odeur des églises je m'y sens bien, loin des messes pour autant. J'aime m'y poser et méditer. Agathe est spirituellement « bousillée », ne peut plus mettre les pieds dans une église, ce que je trouve dommage.  
Non, vraiment, je ne remercie pas les Béatitudes.
Ephraïm, alias Gérard CROISSANT, le fondateur des Béatitudes, a un jour dit d'Agathe,
qu'il avait pourtant peu connue : « Elle fera de grandes choses ». Il ne pensait pas si bien dire, mais
pas dans le sens où il l'entendait. Aujourd'hui j'accompagne Agathe dans son témoignage, c'est
devenu un combat de couple. Après tout ce qu'elle a traversé, elle se révèle en réalité comme une
personne forte. Nous avons édité son récit (Pourquoi se (c) taire ? aux éditions Maïa) et essayons de communiquer afin de prévenir les familles et montrer qu'un après est possible.