Victime de l'Église, elle refuse d'être « muselée »
Après avoir été victime des dérives sectaires au sein de la communauté des Béatitudes, une Périgourdine
voulait entrer dans une instance de réparation. Mais la structure demande son silence en échange.
Jonathan Guérin
EIle fait partie des fidèles qui ont été victimes de l'Église. Myriam Rémy (l), habitante de Périgueux, en Dordogne, a intégré une communauté religieuse qui a basculé en dérives sectaires. Aujourd'hui, elle souhaite prendre la parole : « J'ai vécu des choses pas normales etje demande réparation. » Mais au moment où elle souhaiterait solder ses comptes avec l'institution religieuse, on lui impose une clause qui la condamne au silence : « Je ne la signerai jamais ! Je veux garder la Iiberté de pouvoir dire ce que je veux. » Ce qu'elle veut, c'est raconter son expérience au sein d'un groupe ayant connu des dérives sectaires. C'était en 1998. Myriam Rémy vient de se marier. La Périgourdine a vécu dans un milieu catholique « très pratiquant mais pas intégriste ». Son mari est lui aussi ancré dans la foi. Alors, quand ils reçoivent une cassette présentant la communauté des Béatitudes, c'est l'illumination. « On trouvait ça génial. C'était un mélange de psychologique et de spirituel. On ne le savait pas encore, mais c'est justement ce qui permet de manipuler les gens. »
Le couple quitte le Périgord pour s'installer dans le village de Cuq, dans le Tarn. « On a été happés, séduits. On était sur une autre planète, avec un rythme partagé entre la messe et le travail sur place. Impossible de partir. » Aujourd'hui âgée de 50 ans, la croyante n'a pu se rendre compte qu'après coup de ce que sa famille avait subi : « On travaillait sans être payés. On donnait la dîme sur les allocations familiales qu'on touchait. On nous interdisait de sortir. Le monde extérieur, c'était le Diable, et j'avais peur de le voir apparaître si je sortais. » En 2002, Myriam, qui était infirmière, a le courage de dire qu'elle veut quitter les fidèles pour être psychothérapeute. Pour cela, elle fait elle-même une psychothérapie. Et là, elle comprend : « La culpabilisation, les injonctions paradoxales, nos économies volées... Ça a fait tilt ! J'ai lu des livres sur les sectes et j'ai reconnu tout ce qu'on nous avait fait. J'étais alors un champ de ruine, car j'avais fondé toute ma vie sur la foi. » Au même moment, les accusations de dérives sectaires sont rendues publiques. Mais le pire est à venir : le frère Pierre-Étienne Albert avoue des agressions sexuelles sur 57 enfants des Béatitudes. En 2011, il est condamné à cinq ans de prison. « Il a passé une semaine dans notre maison, se souvient difficilement Myriam Rémy. Ma fille avait 3 ans et mon garçon quelques mois. Je ne « On vit avec la question de savoir si [nos enfants] ont été agressés ou pas » me souviens plus si je lui ai laissé mes enfants ou pas. On vit avec la question de savoir s'ils ont été agressés ou pas. On espère que non, mais ils le vivent très difficilement aujourd'hui... » Désormais, l'infirmière ne peut plus travailler. Le poids des années passées la hante. Reconnue travailleuse handicapée, elle demande une retraite pour invalidité. Et se bat désormais pour les autres.
Son collectif CAV Béatitudes regroupe une quinzaine de victimes. C'est dans ce cadre qu'elle a été contactée en août 2024. La plupart des institutions ont décidé d'intégrer la Commission reconnaissance et réparation (CRR) née en 2021 pour les victimes du monde religieux. Mais pas les Béatitudes. Si L’institution a engagé des réformes et a été reconnue « famille ecclésiale de vie consacrée » par l'archevêque de Toulouse, elle a préféré créer sa propre structure d'indemnisation, le «dispositif indépendant d'accueil et de médiation » (Diam)
« Il m'a été demandé de signer un protocole qui prévoyait la confidentialité, raconte Myriam Rémy. J'ai dit non ! Si on dit que la parole doit être libérée, il faut que ce soit vrai. Quand on prend la peine de décrire notre souffrance, le Diam ne peut pas nous interdire de parler. Le but est aussi que d'autres victimes pas encore déclarées puissent se rendre compte de ce qu'on a vécu. Cette clause est faite pour nous museler, c'est scandaleux ! » Contacté par « Sud Ouest », le Diam a refusé un entretien par téléphone, préférant une réponse par courriel : « La confidentialité constitue une modalité classique dans le cadre d'une médiation, répond Clotilde Beylouneh, la coordinatrice de l'instance. Cette clause favorise la liberté des échanges. Que diraient les personnes si ce qu'elles ont pu déclarer dans le cadre du Diam était répété en dehors ? » Protection des victimes ou perpétuation de la loi du silence ? Les autres instances de réparation ne prévoient pas, quant à elles, de telles clauses restrictives concernant la parole des victimes.
(I) Nous avions déjà parlé d'elle à la suite d'une agression sexuelle qu'un prêtre lui avait imposée en 2015 en Dordogne.